asana et prana I

HOMO ENERGETICUS

Si l’on en croit les spécialistes des origines de l’homme, l’homo sapiens sapiens serait né en Afrique, il y a 140 000 à 100 000 ans d’aujourd’hui. Or l’Inde par ailleurs affirme que le Yoga existe depuis 40 000 ans. Nous sommes donc  fondés à conclure que l’homo energeticus – autre nom du yogi, forgé par l’auteur pour les besoins de sa cause et par respectueuse référence au livre de Louis Dumont sur les castes, homo hierarchicus – appartient de plein droit à la famille de l’homo sapiens sapiens. Et ce d’autant plus que la Sagesse (sapientia) est précisément le but de sa quête…
Mais d’où nous vient ce mot d’énergie, si utilisé de nos jours ? Il est grec d’abord, se prononce energeia et désigne la force en action, par comparaison avec dunamis, la force en puissance, qui donne dynamisme en français. L’idée d’action est d’ailleurs contenue dans la structure même du vocable, en-ergein signifiant en grec »agir dans », « être en action à l’intérieur de ». Le mot passe ensuite en latin – ênergia signifiant « force » – puis émerge dans notre langue vers le XV ième siècle. Littré définit ainsi l’énergie : « Puissance active de l’organisme, vertu naturelle et efficace que possèdent les choses ». Ce n’est que dans les dernières années du XIXième siècle que sera crée l’adjectif « énergétique »que le dictionnaire Quillet présente en ces termes : « Science qui étudie les manifestations et transformations des diverses formes de l’énergie – mouvement, chaleur, lumière, radiation, électricité – dans les phénomènes physiques, chimiques et biologiques ».
C’est donc dans cette optique qu’il faut considérer l’homo energeticus : un être humain incarnant en lui la science de l’énergie.


L’UNIVERS ENTIER EST FAIT D’ENERGIE

Car c’est précisément la science qui redécouvre aujourd’hui ce que yogis, maîtres spirituels et métaphysiciens connaissaient depuis de nombreux siècles : notre univers physiques n’est pas fait de matière mais d’énergie. Seul le niveau limité de nos perceptions sensorielles nous fait percevoir les choses comme solides et distinctes les unes des autres. au niveau atomique, la matière apparaît constituée de particules de plus en plus fines, emboitées les unes dans les autres jusqu’à se réduire à la pure énergie. Dans le microcosme comme dans le macrocosme, tout est donc fait d’énergie.

Le mouvement est énergie, la chaleur énergie, la lumière énergie, la radiation énergie etc.
Nous vivons dans un véritable tourbillon énergétique.
Mais, premier constat cette énergie vibre à des vitesses différentes qui lui confèrent des qualités variées, allant du plus grossier au plus subtil, du plus lourd au plus léger. La matière, par exemple, est un type d’énergie plutôt lourde, dense et compacte : elle ne bouge et se transforme qu’avec lenteur et difficulté. La pensée, par contre, est de l’énergie plus légère, plus fine et plus mobile. Elle peut donc se modifier plus vite et plus aisément.
Second constat toutes les formes de l’énergie sont en interaction les unes avec les autres et s’influencent mutuellement. Une énergie d’une vibration particulière attire ainsi une énergie de même vibration. La sagesse populaire parle volontiers des atomes crochus que l’on a avec quelqu’un…
Troisième constat : l’énergie la plus mobile et rapide se manifeste avant la plus lourde et lente. Ainsi l’image précède-t-elle naturellement la forme, la pensée, l’action, la parole, le geste.
Ces constats mis en exergue par la science, les yogis des premiers âges les avaient déjà fait, et très vite ils surent en tirer parti, faisant ainsi du yoga une véritable « science de l’énergie ». Principe éternel et illimité incarné dans un espace temps illimité et provisoire, l’homme yogi se trans forme et transforme l’apparence qu’il habite:  » Si tu te transformes, dit admirablement l’nage de Gitta Mallasz, la matière est aussi obligée de se transformer ».
Mais, observateurs aigus de la réalité, les yogis savent de source certaine que l’énergie ne peut pas se manifester indépendamment de la matière ou aller contre elle. Le travail commence par prendre en compte toutes les pesanteurs matérielles, pour les alléger patiemment, progressivement…
Ce long travail d’affinement, mené par l’énergie au sein de la matière, est admirablement mis en lumière par l’approche des « huit membres » du yoga dans les Yogas Sûtra de Patanjali, passionnante  » énergétique de l’homme ». On notera au passage la présence du chiffre 8, que l’on retrouve aussi dans l’octuple sentier du Bouddha. Que signifie ici ce huit sinon, précisément l’influence de l’esprit sur la matière à travers un lent processus d’allègement ? Ainsi, en architecture, l’octogone – figure à 8 côtés – est-il médiation entre le cercle (symbole du ciel) et le carré (symbole de la terre.

LE YOGA, UNE ENERGETIQUE DE L’HOMME

Au premier chapitre des Yoga-Sûtra de Patanjali, douzième aphorisme, nous voici d’emblée éclairés sur la tonalité qui va présider à ce travail d’affinement énergétique, la fondamentale bipolarité de l’agir et du non-agir: « L’arrêt des tourbillons du mental s’obtient au moyen de la pratique et du détachement’ (Y.S1,12). Le secret d’un authentique yoga est là, dans cette subtile dialectique entre l’engagement et le dégagement. Pratiquer et méditer profondément cette bipolarité, c’est prendre conscience de la bipolarité des contraires, condition de toute énergétique. C’est apprendre à trouver son équilibre entre eux. C’est être acteur autant que témoin. C’est en vivant la plénitude, entrevoir la vacuité, l’un et l’autre étant ultimement un même état d’être.
Entrons maintenant dans ces 8 membres (anga) qui forment littéralement un corpus énergétique allant du plus lourd au plus allégé, dans une relation de réciprocité. Nous sommes là, clairement en présence d’un processus  de « croissance organique », d’une véritable discipline holistique où tout est pris en compte et où chaque anga participe à l’évolution des autres. le choix même du mot « membre » révèle l’intention profonde du yoga: c’est tout entier comme un corps qu’un être s’allège et progresse. rien n’est laissé en route même si tout ne va pas à la même vitesse. La patience est ici suprême qualité. Si Patanjali avait simplement voulu indiquer une séquence, il eut probablement choisi un autre mot :      « étape » (âshrama) ou « terre territoire » (bhûmi) ou encore « lieu » (desha). Or il opte pour le mot membre. A nous de découvrir ce que cela suppose de subtiles inter-relations d’entente et même d’harmonie dans ce long travail de décantation énergétique.

François Roux

à suivre

pour les modalités pratiques et l’inscription à l’atelier asanas et prana, voir le billet « ateliers de l’automne », page accueil.