De la difficulté en yoga

La pratique du yoga n’est pas un long fleuve tranquille. Tout d’abord elle passe son temps à déstabiliser nos certitudes, elle nous fait tomber de nos piedestals, car en débloquant le corps physique et pranique elle désolidifie nos fixations et rigidités mentales, autrement dit l’image figée que nous avons de nous même, nos préjugés, nos croyances auxquelles nous nous accrochons et qui nous prennent tellement d’énergie, en un mot tout ce qui constitue notre ego.
Si nous nous laissons faire par le yoga c’est à dire si nous nous ouvrons constamment à notre expérience, nous nous apercevons vite que le processus dans lequel nous sommes et qui est relativement inconfortable est en train d’éduquer et élargir notre conscience.
Nous nous apercevons aussi qu’être conscient c’est être riche de soi même; nous pouvons puiser en nous même plutôt que d’être toujours dépendants de sources extérieures et nous appuyer sur notre énergie plutôt que nous sentir démuni ou effondré au moindre évènement, changement brutal dans nos vies. Nous pouvons alors appréhender l’impermanence qui semble être inhérente à la vie sans trop paniquer mais aussi la reconnaitre dans notre travail quotidien et nos relations.
Le chemin est rempli de difficultés pour nous mettre en contact avec nous même, et nous montrer où nous en sommes. Nous cherchons à devenir familier avec nos limitations que nous pourrions aussi nommer habitudes ou négligences. Lorsque nous nous installons dans la routine, il est évident que nous nous limitons et nous nous privons de champs d’expériences nouveaux.
Les obstacles sont plutôt des éclaireurs, des portes à ouvrir à condition d’accepter la confrontation. Le yogi est un chercheur.

Les asanas plus difficiles permettent de franchir des bornes inconscientes installées par la routine, la peur de l’inconnu, la paresse…ils ouvrent des circuits supplémentaires, de nouvelles connexions neuroniques, la mémoire du corps s’enrichit, nous sommes plus habiles et précis, plus sensibles.

Il est donc important de ne pas éviter la difficulté, mais aussi de pratiquer avec un esprit frais qui veut bien explorer, se tromper, essayer et réessayer, aller vers son corps plutôt qu’exiger de son corps…
La meilleure façon d’appréhender une difficulté dans la pratique d’un asana, c’est de ne pas y résister et rester curieux. Cela demande du courage parfois mais le moment où nous nous prenons comme nous sommes est important car il nous permet de voir les forces qui agissent en nous, c’est une source de connaissance, donc de richesse.

Ne pas résister ne signifie pas abandonner, ne rien faire, être passif, faible ! Au contraire être attentif à notre façon de travailler c’est être dans l’action !
Travailler avec ardeur, et vaillance (régulièrement!) mais pour trouver l’effort-juste, l’effort bien géré, dans la juste-tension; essayer de débusquer, d’observer nos réflexes de crispation, physiques et mentaux, c’est être dans l’action.
Ne pas résister c’est reconnaître notre expérience, la prendre telle qu’elle est, et réajuster notre attitude, reconnaitre quand nous allons trop loin, ou lorsque nous sommes en dessous de nos possibilités c’est à dire apprendre de nos expériences ! Oser expérimenter ! C’est être dans l’action !

Quelle attitude prendre lorsque le corps résiste dans l’exécution d’un asana !
Utiliser des aides manuelles, une sangle, une brique, une couverture pour s’aider et ne pas subir. Comprendre que si nous forçons l’obstacle il a toute les chances de se renforcer et de devenir un passage infranchissable. Par exemple, une résistance articulaire va s’organiser en se protégeant avec des contractures antalgiques. Sans l’ignorer le mieux est de lui laisser faire sa vie, le temps de nous apprendre ce qu’elle a à nous apprendre et elle se dé-solidifiera jusqu’à disparaitre d’elle même!
Ne pas résister signifie certainement faire confiance dans la pratique du yoga et savoir qu’aucun obstacle, difficulté ne dure toujours.
Ne pas résister c’est sans aucun doute associer au travail physique une attitude intérieure, une intention, peut être l’humilité, la patience, un peu d’humour, la douceur… à vous de voir. En tout cas certainement repérer l’esprit de compétition, de perfection, l’obsession de la maîtrise, qui nous empêchent d’être présent, de sentir les enjeux, les possibilités et notre réactivité dans un exercice; nous nous projetons dans une posture idéalisée qui ne fait que nous maintenir dans le fantasme donc l’insatisfaction.
Dans une posture de triangle/trikonasana pourquoi descendre sa main sur la cheville quand ce seul geste détruit l’architecture de la posture, la circulation intérieure, et augmente l’inconfort !
La manière, l’habileté, les qualités mises en oeuvre sont plus importantes que le résultat obtenu. Dans la culture indienne, l’intention est plus porteuse de karma que l’action.

L’apprentissage du yoga se fait par palier, chaque posture peut être déclinée de différentes façons avec différents degrés de difficultés. Il est important de reconnaître notre progression, les changements, les nouvelles sensations; et apprécier les moments de grâce qui peuvent se manifester par  une forme de contentement, de stabilité, lorsque l’effort et le non effort se rejoignent. Il n’y a pas de yoga sans bogha, dit la tradition. Je traduirai par « mélange ineffable de gratitude, plaisir et simplicité »
Les effets se font sentir également dans la façon dont nous percevons notre vie, peut être observons nous quelques changements dans notre caractère, égalité dans l’humeur, tonus, constance, élégance, ouverture… Le yoga parle de non violence Ahimsa : chaque fois que nous réalisons qu’il y a une alternative à la lutte, que nous pouvons déposer les armes, nous réalisons le sens profond du yoga.

Florence Derail